On prête au lait et aux produits laitiers de nombreux bénéfices pour la santé. Rien n’est moins sûr, explique cet éditorial d’un professeur de l’Université de New York publié dans le British Medical Journal (BMJ). Bénéfique à la santé osseuse? Faux, conclut une autre étude suédoise qui associe la consommation de lait à un risque plus élevé de fracture de la hanche et de décès. Il est donc grand temps de clarifier les effets du lait et des produits laitiers sur la santé.
Les études sur le lait, les produits laitiers et la santé peuvent largement être remises en question, souligne l'auteur de l'article (1), Catherine Mary Schooling. Car, en matière d'aliments ou de nutriments, la plupart des données sont issues d'études de cohortes qui vont associer des habitudes alimentaires à des résultats de santé et non d'essais contrôlés randomisés qui pourraient marquer clairement des différences d'effets sur la santé. Ainsi, la plupart des associations entre certains aliments et certains résultats de santé, si plausibles, ne sont pas démontrées. Elles ont pourtant précédé l'établissement de nombreuses recommandations en nutrition. Ainsi, des avis de l'Agence européenne EFSA sur les valeurs nutritives de référence, reposent principalement sur un faible niveau de preuve et sur l'hypothèse que les apports normaux ou moyens en Europe ou en Amérique du Nord représentent les apports optimaux. Les effets néfastes (cardiovasculaires) des acides gras saturés ou encore les bénéfices du calcium restent donc à démontrer.
Mais l'étude qui déclenche ce rappel à l'ordre scientifique est une étude publiée dans la même revue (2) qui associe la consommation de lait à un risque accru de fractures de la hanche et de mortalité globale.
Un risque accru de fracture de la hanche et de décès ? Ses auteurs, de l'Université d'Uppsala rappellent pourtant en préambule qu'une alimentation riche en produits laitiers est connue pour réduire le risque de fractures ostéoporotiques. Car le lait contient 18 des 22 nutriments essentiels, tels que le calcium, le phosphore, la vitamine D et à ce titre, joue un rôle « important pour le squelette ».
Pourtant, leur analyse menée sur 2 cohortes de 61.433 femmes et de 45.339 hommes conclut qu'une consommation importante de lait peut avoir les effets contraires : Pour chaque verre de lait, le risque ajusté de mortalité toutes causes confondues s'accroît ainsi de 15% chez les femmes et de 3% chez les hommes. Pour chaque verre de lait consommé chez les femmes, aucune réduction n'est constatée dans le risque de fracture…
L'explication d'un effet néfaste réside dans l'action d'un métabolite du lactose, le D-galactose, qui va mimer un effet vieillissement en induisant un stress oxydatif et une inflammation. Ce point a été documenté sur l'animal. Le lait -et non les produits laitiers fermentés- est associé avec un biomarqueur du stress oxydatif. Cependant le processus médié par le D-galactose n'est pas totalement compris (ni expliqué dans l'étude (2)).
Les différences de résultats d'études concernant les effets du lait sur la santé peuvent s'expliquer de plusieurs manières.
· En fonction du terrain génétique : Par le mode d'absorption intestinale de ces nutriments et la capacité enzymatique à digérer le lactose en D-glucose et en D-galactose. Une capacité différente selon les populations étudiées car fonction d'une mutation dans le gène de la lactase, une variante plus fréquemment trouvée chez les populations d'Europe du Nord.
· Par la prise en compte ou non des taux de matières grasses,
· Par la prise en compte de l'effet du lactose
· Par l'influence d'autres facteurs comme l'exercice physique ou l'effet combiné de plusieurs facteurs –comme la consommation d'alcool- avec la consommation de lait.
En fonction de l'âge bien sûr.
Lait ou produits laitiers ? Il reste aussi, dans les études, comme dans les recommandations à faire la distinction entre lait et produits laitiers, précise l'auteur et l'étude citée plus haut (2) cible spécifiquement le lait, et non les produits laitiers fermentés, à plus faible teneur en lactose, dont les yaourts et le fromage –qui sont associés à des résultats contraires.
Le rôle de la lactase, l'enzyme qui permet la dissociation du lactose en glucose reste à préciser. Son impact sur la survie ou la fertilité a été évoqué, les anomalies du métabolisme du lactose ont été associées à des anomalies de la reproduction, mais son processus d'action reste encore à préciser.
L'étude (2) évoque à partir de quelques études le rôle du D-galactose sur le métabolisme osseux, cela reste à démontrer.
Il reste donc à préciser de nombreux points sur les effets de la consommation de lait et quel lait et via quels produits laitiers, sur les résultats de santé, en particulier sur la santé osseuse et cardiovasculaire et chez les personnes âgées. Il importe, rappelle l'auteur, de prendre en compte, dans de nouvelles études, la persistance ou non du « gène de la lactase » chez les groupes de population étudiés, à défaut de mener des essais contrôlés randomisés. A l'heure où l'on documente et prend conscience de l'importance du rôle thérapeutique possible de la nutrition, il est urgent de clarifier le rôle de cet aliment de base sur la santé et le risque de mortalité.
Sources:
(1) BMJ2014; 349: g6205 28 Octobre 2014 Milk and mortality
(2) BMJ 2014; 349:g6015 28 Octobre 2014 Milk intake and risk of mortality and fractures in women and men: cohort studies (Visuel@LesProduits Laitiers)