On a longtemps pensé que l’obésité pouvait être un facteur protecteur contre les fractures. Car la charge mécanique sur les os, qui augmente avec le poids corporel, contribue à augmenter la densité minérale osseuse, un déterminant important de la résistance osseuse. Ensuite, les tissus mous pourraient protéger l’os. Pourtant, l’obésité est liée à un risque plus élevé de fractures chez les femmes et chaque augmentation de 5 cm de tour de taille augmente le risque de 7%, conclut cette étude présentée au Congrès européen sur l’obésité (ECO, Maastricht).
Ces conclusions concernent principalement les femmes obèses et en surpoids, ayant un tour de taille élevé, alors que chez les hommes, c’est plutôt l’insuffisance pondérale et non le surpoids qui apparaît associé à un risque accru de fractures osseuses. Ainsi, la recherche rejoint de précédentes recherches qui avaient conclu que la relation entre l’obésité et le risque de fracture varie selon le sexe, le site squelettique étudié et la mesure de l’obésité utilisée (IMC ou tour de taille).
L’étude : l’équipe du Dr Anne-Frédérique Turcotte du Service d’endocrinologie et de néphrologie du Centre de recherche de Québec, analyse ici les données de CARTaGENE, une étude cohorte prospective qui suit 20.000 personnes âgées de 40 à 70 ans. Les participants ont été évalués lors de l’inclusion (2009- 2010) et jusqu’en mars 2016, avec prise en compte notamment de l’IMC et du tour de taille.
- Au cours d’un suivi, 497 femmes et 323 hommes (soit >4 % des participants) ont subi une fracture ;
- dont 415 fractures ostéoporotiques majeures (fractures de la hanche, du fémur, de la colonne vertébrale, du poignet ou de l’humérus), chez 260 femmes et chez 155 hommes ;
- dont 353 fractures distales des membres inférieurs (partie de la jambe sous le genou, soit fracture de la cheville, du pied et du bas du tibia ou du tibia), chez 219 femmes et 134 hommes ;
- 203 fractures distales du membre supérieur (de l’avant-bras à partir du coude, soit fracture du poignet, de l’avant-bras ou du coude), chez 141 femmes et 62 hommes.
Les chercheurs ont pris en compte un certain nombre de facteurs de confusion possibles : l’âge, le statut ménopausique, l’origine ethnique, l’état matrimonial, l’éducation, le revenu, le lieu de résidence, le statut tabagique, la consommation d’alcool, le niveau d’activité physique, l’apport supplémentaire en calcium et en vitamine D, les antécédents de fracture et les comorbidités et les médicaments connus comme pouvant influencer le risque de fracture. L’analyse révèle que :
- chez les femmes, un tour de taille plus élevé est proportionnellement associé à un risque accru de fracture ;
- pour chaque augmentation de 5 cm du tour de taille, le risque de fracture tous sites confondus augmente de 3 % et le risque de fracture distale du membre inférieur de 7 % ;
- chez les femmes, l’association entre le tour de taille et le risque de fracture de la cheville est particulièrement élevée ;
- chez les femmes, un IMC plus élevé est également associé à un risque accru de fractures distales des membres inférieurs ; vs les femmes ayant un IMC de 25 kg/m², celles ayant un IMC de 27,5 à 40 kg/m² présentent un risque plus élevé de fractures distales des membres inférieurs ;
- l’augmentation du risque passe de 5 % chez les personnes ayant un IMC de 27,5 kg/m² à 40 % chez celles ayant un IMC de 40 kg/m².
Quels mécanismes en cause ? On ignore pourquoi l’obésité est associée à un risque plus élevé de fractures chez les femmes. Cependant, la plupart des fractures sont le résultat d’une chute et
les chutes sont plus fréquentes chez les personnes obèses.
Les personnes obèses ont plus de troubles de l’équilibre en particulier lorsque le surpoids est concentré à l’avant du corps, ce qui suggère que les personnes ayant de la graisse abdominale peuvent être à risque de chute.
La cheville, contrairement à la hanche et au fémur, n’est pas protégée par des tissus mous,
ce qui pourrait la rendre plus susceptible de fracture lors d’une chute.
- Enfin, la graisse viscérale, une graisse très active sur le plan métabolique et stockée profondément dans l’abdomen, autour des organes, sécrète des composés qui affectent négativement la solidité des os.
Chez les hommes, les augmentations de l’IMC et du tour de taille ne sont pas significativement associées aux fractures. Cependant, les hommes souffrant d’insuffisance pondérale sont plus à risque accru de fractures distales des membres supérieurs vs ceux de poids normal. Les hommes avec un IMC ≤ 17,5 kg/m² sont ainsi 2 fois plus susceptibles d’avoir une fracture distale du membre supérieur que les hommes avec un IMC de 25 kg/m². Les chercheurs suggèrent ici que d’autres recherches devront être menées pour expliquer ces différences de risque vs les femmes.
Ainsi, à la question posée : « l’obésité est-elle un facteur protecteur ou facteur de risque de fracture ? », il n’existe pas de réponse simple et la relation entre l’obésité et les fractures est complexe et varie selon le sexe et le type d’obésité. Ce qui est certain est que les personnes obèses qui subissent une fracture sont plus susceptibles d’avoir d’autres comorbidités qui peuvent entraîner une réadaptation plus lente et augmenter le risque de complications postopératoires.
L’obésité ne doit donc pas être considérée comme protectrice contre l’obésité et, en tout état de cause elle doit l’être, comme un facteur de risque de retard de cicatrisation osseuse, en cas de fracture.
Source: European Association for the Study of Obesity- European Congress on Obesity (ECO) 2022 5 May, 2022 Presentation LBP2.11 Sex-specific dose-response relationships between obesity and incidence of fractures
Plus sur Rhumato Blog